J'ai déjà évoqué la conversion, tardive et, donc, enthousiaste, de Mélenchon à l'écologie. Un de mes amis qui milite chez les Verts depuis des décennies après avoir été membre du PSU auparavant, m'a envoyé ce texte qui se veut une analyse critique de la vision écologique de Mélenchon. Je verse ce texte au débat, d'autant qu'il n'est pas polémique. Par contre, il me semble curieux que ce texte n'évoque pas des sujets comme ND des Landes ou le nucléaire. Le débat continue !
DE L’ÉCOLOGIE CHEZ MÉLENCHON OU D’UNE COHÉRENCE INACHEVÉE…
Analyse de Dominique Frager (dofrager@gmail.com)
"Il est d’usage dans les milieux militants et dans la presse de reconnaître le tournant écologiste de Mélenchon en focalisant sur ses ambiguïtés envers le régime syrien et Poutine. (Lire dans la chronique A débattre de Bastamag : « Lettre à un camarade qui s'obstine à justifier l'injustifiable » de Julien Salingue du 20 décembre 2016).
Pour notre part, nous le critiquons sur sa cohérence inachevée ou même sur ses incohérences en matière d’écologie. Certes, Mélenchon reconnaît sa dette envers les Verts et il a ainsi retenu d’Alain Lipietz : « L’idée que l’écologie politique est le nouveau paradigme de la Gauche ».
Sobriété et fiscalité écologique :
Il est peu disert sur les premiers piliers d’une transition écologique : la sobriété énergétique et les économies d’énergie, notamment d’électricité pour sortir du nucléaire (voir son interview à Reporterre d’avril 2012) ; il est également peu disert sur la fiscalité écologique pour financer la transition. Or, instaurer une contribution climat/énergie reste un incontournable, ainsi que d’autres mesures (dans son programme, « L’avenir en commun », il ne parle de taxe que pour les transports…). Par ailleurs, une grande incohérence règne dans ses propos sur les énergies renouvelables.
Énergies renouvelables :
Ainsi, dans son interview du 11 décembre 2016, il déclare : « Il y a au moins deux sources immenses immédiatement exploitables, la géothermie profonde, dont je suis fan, et l’énergie de la mer », alors qu’il s’agit des deux ENR actuellement les moins matures et les plus coûteuses. L’actuelle géothermie courante produit de la chaleur et non de l’électricité (en Île-de-France, en Aquitaine…) avec une exception, la Guadeloupe (10 % de sa production d’électricité). Le projet pilote franco-allemand pour la géothermie profonde de Soultz-sous-Forêts se trouve toujours à un stade expérimental. Le développement industriel, d’après l’ADEME, ne pourra s’exercer qu’à partir de 2030. Pour aujourd’hui et demain, il y a encore de nombreux goulets techniques et un coût très important. Ainsi, la technique de la fracturation hydraulique a induit une certaine sismicité, d'où un arrêt en juin 2003 à Soultz et à Bâle. La variante actuelle de la stimulation hydrochimique pose aussi des problèmes avec une eau chargée de composés corrosifs pour les métaux.
Quant au potentiel réel des hydroliennes en mer, il est de 2,5 GW, soit deux ou trois réacteurs nucléaires, avec l’usage de produits toxiques pour la faune et la flore marine. Autrement dit, s’il faut poursuivre les recherches sur ces deux énergies, elles ne sont pas le principal potentiel.
Les scénarios de Négawatt et de l’ADEME, seuls scénarios disponibles et sérieux pour une France 100 % ENR à l’horizon 2050, illustrent le caractère secondaire des deux marottes de Mélenchon, alors que le solaire et l’éolien sont aujourd’hui et pour longtemps au cœur d’une transition énergétique réussie dès maintenant, car ces énergies sont matures et parmi les moins coûteuses.
Rôle de l’État et des Collectivités territoriales :
Il reste aussi une autre question importante, c’est le malaise devant la toute puissance d’un État en surplomb et de la centralisation alors que toutes les ONG, dont le réseau Action-Climat, demandent de mettre les collectivités au cœur de la transition : bassins de vie et régions doivent être des acteurs essentiels. Ainsi, les ONG demandent de transférer l’entière responsabilité de l’élaboration des schémas régionaux climat/air/énergie et de rétablir l’autorité des collectivités sur la gestion des réseaux du gaz et de l’électricité.
Les ONG pensent qu'il faut redéfinir un cadre politique, juridique et économique dans lequel l’ensemble des composantes du pays pourra se mobiliser aux côtés et non sous la coupe de l’administration centrale de l’État. Il faut un service public décentralisé, diversifié et démocratisé.
La décentralisation et la nécessaire relocalisation de l’énergie sont aux antipodes des schémas centralistes de Mélenchon. Ainsi, page 69 de son programme, la loi-cadre instaurant la planification écologique articule exclusivement le national et le local à travers la création d’une fonction de délégués départementaux à l’écologie (exit les régions et les bassins de vie, c’est le comble du tropisme jacobin !).
Auto-limitation ou démesure prométhéenne :
Pour conclure provisoirement, nous citerons Geneviève Azam (d’ATTAC), qui pointe la croyance en la toute puissance humaine, laquelle est l’une des causes du déni écologique dans le dernier chapitre incroyable de "L’avenir en commun" de Mélenchon : « L’idéal de la frontière à supprimer, de la puissance retrouvée grâce à une avant-garde, la France aux avant-postes, celui de la conquête de l’espace et des mers, d’une économie de la mer et de l’espace, est celui qui nous conduit tout près d’un effondrement, celui qui menace la vie des humains, leur humanité et la vie tout court » (interview d’Azam dans Politis du 14 décembre 2016).
Enfin, la démesure, la technophilie et le rêve d’une domination accrue de la nature imprègnent ce dernier chapitre (ex. : voyages interstellaires dans l’espace, construction d’une station sous-marine permanente, etc.). Ces mesures sont contraires à la philosophie écologique, qui pose la question des limites, de l’auto-limitation comme condition de la politique et de la démocratie.
Pour les écologistes, l'anthropocène est un âge de la fragilité et nous sommes contre l’exploitation de l’Arctique et des océans, que nous devons d’abord conserver comme zones de biodiversité et non comme des terres de conquêtes, même avec des offices publics d’État à la place des multinationales. Le productivisme pouvant être public ou privé.
Ce délire prométhéen renvoie, comme aurait dit le philosophe Cornélius Castoriadis, au triomphe de la signification imaginaire capitaliste de notre temps, c’est-à-dire d’une expansion illimitée et d’une prétendue maîtrise prétendument rationnelle…
Face aux incohérences de Mélenchon, nous proposons d’arrêter cette course à la domination accrue de la nature et de poser pied à terre pour la conversion écologique de la société".