J'ai déjà évoqué les voyages en avion l'an dernier (voir : http://gerard.fretelliere.over-blog.com/2017/08/voyager-il-y-a-50-ans.html ). Cette année, le train.
Mes parents ne possédaient pas de voiture bien que mon père ait obtenu facilement le permis de conduire dans les années 1930. Une automobile était inutile car nous habitions alors dans la proche banlieue ouest de Paris, dans un secteur bien desservi en transports en commun (du moins pour aller à Paris car les liaisons au sein de la banlieue étaient - sont encore - déficientes). Pour nous déplacer nous empruntions le train. D'autant que cela ne nous coûtait pas grand chose car mon père travaillait à la SNCF. A l'époque, non seulement les cheminots bénéficiaient d'une gratuité totale sur tout le réseau (carte de libre circulation qui, cependant, ne fonctionnait pas les jours de pointe c'est à dire à la charnière juillet - août), mais leur famille avait un triple avantage : 90% de réduction en Ile de France ; réduction également pour les voyages à l'étranger ; 8 billets gratuits par an (que nous utilisions pour partir en vacances). Et, cerise sur le gâteau : à l'époque, les billets gratuits non utilisés une année venaient en complément de ceux de l'année suivante ! Et ces avantages duraient jusqu'à 21 ans même si vous étiez déjà salarié (ce fut mon cas à partir de 19 ans et demi). De plus, un ayant droit pouvait se faire confectionner une carte gratuite pour se rendre de la gare de son domicile à celle de son lieu de travail ou d'études (mais exclusivement sur ce trajet et en dehors du dimanche et des périodes de congé).
Mais, me direz-vous, il n'y a pas de train partout ! Comment faisiez-vous en vacances ? Réponse : il nous arrivait d'emprunter un autocar ; sinon : nous marchions ou nous pédalions. A l'époque, on le faisait par nécessité et plaisir et non pour garder la ligne mais j'ai conservé de bonnes habitudes et ma sveltesse.
Revenons au train. Les trains français étaient moins rapides qu'aujourd'hui (les TGV n'existaient pas) mais quand même les plus véloces du monde (hormis le Shinkansen japonais). L'amplitude horaire était bien plus importante : non seulement, on trouvait des trains de nuit sur bon nombre de destinations mais, en plus, on pouvait arriver à Paris aux aurores en venant de Province et en repartir très tard. Quant à la fréquence, elle était bonne et, le plus souvent, les trains arrivaient à l'heure. Sauf malchance : en 1966, j'ai passé 3 semaines près du Puy en Velay avant d'aller continuer mes vacances en Bretagne ; à l'aller, le convoi a heurté un troupeau de vaches ; idem au retour.
On achetait le billet au guichet de la gare (pas d'Internet à l'époque et des gares offraient une grande amplitude d'ouverture). On réservait sa place si on le souhaitait (dans ce cas, il fallait payer un supplément même si vous étiez cheminot ou ayant droit). Pour connaître les horaires, on utilisait la "bible" du transport ferroviaire : l'indicateur Chaix. Celui-ci recensait tous les horaires de toutes les lignes de France (et de Navarre) hormis celles de la région parisienne. On le trouvait dans toutes les gares mais mon père s'en procurait un au travail. Il est vrai que les horaires changeaient peu d'une année sur l'autre (c'est encore le cas pour les lignes internationales hors TGV).
Aux lendemains de la seconde guerre, les trains étaient bondés (il parait que l'on devait, parfois, entrer par la fenêtre). Petit à petit, le parc de motrices et de wagons s'est étoffé et il n'y avait foule qu'au moment des grands départs en vacances. Mais la SNCF mettait en place des trains supplémentaires nombreux pour tenter de suppléer à la cohue. Les seules lignes où l'on était certain d'être serré comme des sardines étaient celles de banlieue aux heures de pointe (à l'époque, il n'y avait pas d'horaires variables et les employés comme les lycéens commençaient à 8h du matin donc la foule se pressait de 7 à 8 puis de 18 à 19). Quand on voyageait de nuit (il y avait de nombreux trains de nuit), il y avait 2 solutions : soit réserver une couchette, soit réserver une simple place. Dans ce second cas, pas facile de dormir mais si vous étiez avec votre famille ou des amis dans le même compartiment (car les trains étaient constitués de ces sortes de pièces fermées possédant 8 places en seconde et 6 en première), vous vous organisiez. Les uns s'allongeaient sur les banquettes ; d'autres s'allongeaient par terre, d'autres montaient dans les filets à bagages (interdit mais fréquent) ; les autres ne dormant pas !
Quelques mots des trains de nuit qui ont tendance à disparaître. ils étaient très fréquents à l'époque. Nous l'utilisions pour aller de Paris jusqu'en Bretagne mais j'ai emprunté bien d'autres lignes aussi bien en France (Paris - Nice, Lyon -Nantes, etc.) qu'à l'étranger (Alger - Chelghoum Laïd, Paris - Rome, Paris - Milan, Paris - Copenhague, Dakar - Bamako, le "Tazara", etc.)
Les billets étaient contrôlés à l'entrée du train et dans le train. Si vous vouliez accompagner un voyageur sur le quai, il fallait acquitter un droit. En banlieue, vous poinçonniez vous-même vos billets mais les contrôleurs étaient très présents dans les trains. Ajoutez à cela un grand civisme et vous comprendrez que la fraude était très peu répandue. Autre originalité : le prix des billets était fixe. C'était x centimes du kilomètre et ça ne variait pas d'un jour à l'autre, comme pour les TGV, ou d'une région à l'autre. Il n'y avait que quelques types de réductions qui étaient valables sur l'ensemble du réseau : familles nombreuses ou billets congés payés.
Les portes n'étaient pas fermée par le contrôleur ou automatiquement. Les passagers les ouvraient grâce à un loquet. Il était donc facile de prendre le train "en marche" au moment où il démarrait. Ce qui n'était pas sans risque : une de mes collègues se retrouva coincée entre le quai et le train qu'elle voulait emprunter et elle fut écrasée.
Il y avait nettement moins de passages souterrains que maintenant pour aller d'un quai à l'autre. Par conséquent, il n'était pas rare de devoir être obligé de traverser les voies pour prendre son train : autre source de danger d'où l'avertissement que l'on rencontrait dans toutes les gares "un train peut en cacher un autre".
Les grandes gares ne fermaient jamais. On pouvait donc tenter d'y dormir la nuit, entre deux trains. On trouvait un ban à l'écart et on s'y couchait. Le réveil était souvent précoce mais on économisait une nuit d'hôtel dans une ville que l'on ne connaissait souvent pas.
Le réseau français était beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui. Le principe avait été retenu que tout chef-lieu de département devait posséder une gare. On ne notait qu'une seule exception : Privas en Ardèche. La plupart des lignes "secondaires" ont été fermées depuis ces années ; elles ont souvent, été remplacées par des cars ou sont peu utilisées désormais. Je pense, en particulier à la ligne Clermont-Ferrand - Nîmes voie magnifique passant, en particulier, par les gorges de l'Allier.
Les trains étaient sûrs malgré le danger que constituaient les passages à niveau qui étaient bien plus nombreux qu'aujourd'hui. Pendant longtemps, ces carrefours furent gérés par des garde-barrières logés sommairement mais gratuitement. A toute heure du jour et de la nuit, ils actionnaient la barrière ; ils étaient sérieux : il y avait donc peu d'accidents. Puis l'homme fut remplacé par les barrières automatiques plutôt moins fiables. Pour les lignes les plus fréquentées, on multiplia les ponts, viaducs et passages souterrains (celui de la rue Gambetta à Sablé a moins de 40 ans ; auparavant, à cet emplacement se trouvait un passage à niveau !).
Dans les années 1960 - 1970, j'ai assez peu utilisé le train à l'étranger (exception : en 1980 en Europe du Nord dont je parlerai sans doute ultérieurement). La qualité du service variait beaucoup d'un pays à l'autre. En Europe, c'était fort correct, surtout sur les grandes lignes que j'ai empruntées pour me rendre en Italie (à 3 reprises) et au Bénélux. En Algérie, quelques années après l'indépendance, on avait gardé les vieux réflexes. En Chine, j'ai découvert les sièges mouvants qui permettaient de s'asseoir dans un sens puis un autre. Par contre, le Dakar - Bamako était "folklorique". Les clients arrivaient des heures avant pour être sûrs d'avoir une place ; ils étaient lestés d'énormes bagages en tout genre ; très vite, le train était bondé à un point tel que certains passagers étaient debout à l'extérieur et que, souvent, il fallait sauter parmi les corps étendus pour se déplacer dans le train. Parfois, le train s'arrêtait inopinément dans une gare sans que l'on sache pour combien de temps : des passagers descendaient pour jouer au foot ou pour acheter à manger car, partout, on rencontrait des vendeurs de nourriture. Bien évidemment, le train arrivait en retard à destination.
Les conducteurs de trains constituaient l'aristocratie des cheminots. A fortiori, ceux qui pilotaient les trains électriques les plus rapides ; c'étaient les fameuses BB qui filaient à très vive allure vers la Méditerranée et les autres régions périphériques (exemple fameux : le "Mistral" vers Marseille et la Côte d'Azur qui ralliait Nice à 120 km/h de moyenne et des pointes à 160). Il y a 50 ans, la majorité des lignes n'étaient pas électrifiées : les locomotives à vapeur étaient servies par le chauffeur (qui alimentait la machine en charbon puis en eau aux principaux arrêts) et le conducteur lui-même. Ne nous trompons pas : certaines motrices à vapeur étaient très rapides aussi. Sinon, sur les petites lignes, on rencontrait une sorte d'incongruité : la Micheline. Cet autocar sur rail (ou autorail) portait le nom du célèbre fabricant de pneus. Un tel engin faisait encore les beaux jours des chemins de fer en Corse à la fin des années 1970.
Les cheminots français étaient bien plus nombreux qu'aujourd'hui d'autant que l'entretien des voies leur incombait également. Ils constituaient une puissante "corporation" qui bénéficiait de cités spécifiques avec les magasins "Économat" et toute une série de services. Le taux de syndicalisation était fort élevé et la CGT dominait très largement. Quand on se rappelle les liens étroits que la CGT entretenait avec le PCF, on comprend pourquoi celui-ci était très influent dans cette profession. C'était encore plus net dans les petites villes nées du chemin de fer (correspondances comme Veynes ; arrêt obligatoire pour ravitailler les motrices en eau et charbon comme La Roche Migennes ; gares de triage comme Achères). Dans la quasi totalité des cas, la municipalité était communiste de génération en génération. Ce n'est plus que rarement le cas (Vierzon). Encore une autre époque.