Le 24 avril 1915 débutait le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman. Les diverses sources s'accordent à dire qu'il fit environ 1.500.000 victimes. Au moment où ont lieu les commémorations du centenaire de cet épisode tragique, je livre ici quelques rappels historiques et des analyses.
Le peuple arménien est installé dans la partie orientale du plateau anatolien depuis plus de 2000 ans. La montagne sacrée des Arméniens, le mont Ararat, dépasse les 5.000 mètres d'altitude. La langue arménienne, trancrite dans un alphabet spécifique depuis plus de 1600 ans, est une langue indo-européenne comme le français ou l'iranien. Un des principaux éléments de l'identité arménienne est le religion chrétienne adoptée au tout début du 4ème siècle (soit avant l'Empire Romain) ; la majorité d'entre eux relève de l'Église dite apostolique qui est une Église orientale indépendante de l'Église orthodoxe comme de l'Église catholique.
Le territoire où habitaient les Arméniens jusqu'au début du XXème siècle fut périodiquement occupé par des royaumes indépendants mais, très disputé entre les puissants États voisins, il subit souvent l'occupation étrangère et fut généralement divisé en plusieurs entités politiques. Ainsi, au XIXème siècle, si cette région dépend principalement de l'Empire ottoman, une partie est sous domination russe et une autre appartient à l'Empire perse.
L'Empire ottoman est appelé, en partie à tort, "Empire turc" car il a été fondé par des Turcs arrivés d'Asie centrale et insatallés dans la Turquie actuelle depuis la fin du XIème siècle et parce que la langue officielle est le turc "ottoman" écrit en alphabet arabe et comprenant nombre de mots de cette dernière langue, langue religieuse de tous les musulmans.Les "ottomans", groupe de Turcs d'Anatolie, créent leur État à l'extrême fin du XIIIème siècle. En 1452, ils s'emparent de Constantinople, signant ainsi la fin de l'Empire Romain d'Orient ou Empire byzantin.
L'apogée de l'Empire a lieu au milieu du XVIème siècle, s'étendant des portes de Vienne jusqu'au Yémen et de l'Algérie à l'Irak. Le déclin commence au XVIIème sous les coups de boutoir des Empires d'Autriche et de Russie puis s'accélère au XIXème avec l'indépendance de plusieurs pays d'Europe à ses dépens (Grèce, Roumanie, Bulgarie, Serbie, Monténégro, Albanie) et la perte d'autres territoires au profit des Anglais, des Français, des Italiens et, bien sûr, des Russes et Autrichiens. En 1914, la "Roumélie" (partie européenne de l'Empire) est perdue à part une mince tête de pont.
L'Empire ottoman est surtout un Empire musulman dont le chef est considéré comme un successeur de Mahomet. La majorité de la population est musulmane mais, outre le turc, parle, en 1914, des langues très variées : arabe bien sûr mais, également, kurde, grec, slave, langues caucasiennes, etc... La population de tradition chrétienne est relativement nombreuse même après la perte de la Roumélie. Les uns sont "orthodoxes" dépendant principalement du patriarchat de Constantinople/Istamboul (surtout de langue grecque mais également de langue arabe, bulgare ou turque). Les autres appartiennent à des Églises orientales autonomes : Arméniens, Syriaques occidentaux et orientaux (certains étant rattachés à Rome comme les Maronites du Liban). On rencontre également des Juifs qui ne parlent pas l'hébreu (mais surtout le judéo-arabe voire le judéo-espagnol) et n'habitent pas dans l'actuel État d'Israël sauf exceptions. Malgré des réformes ayant eu lieu à la fin du XIXème siècle, les non musulmans ne sont pas égaux des musulmans. .
A la fin du XIXème siècle, on recense plus de 2 millions d'Arméniens dans l'Empire. La majorité habite dans les 6 provinces ("villayet") de l'Est où ils constituent le principal groupe mais cohabitent avec d'autres peuples (Kurdes, Caucasiens, Grecs, Syriaques et Turcs). D'autres sont installés depuis des siècles en Cilicie (région du sud-est méditerranéen de la la Turquie actuelle) où a existé un royaume de patite Arménie au Moyen Age ; là aussi, ils sont mélangés avec d'autres peuples, y compris de langue arabe. Enfin, on trouve des communautés arméniennes dans toutes les villes, surtout à Istamboul.
Face aux reculs successifs et à l'exode de populations musulmanes des pays d'Europe du Sud-est, l'Empire entre dans une période de profonds bouleversements. D'un côté, des tentatives de réformes politiques et de modernisation économique ; de l'autre, la montée du nationalisme turc mais également arménien. Les Arméniens soutiennent les réformes mais vont, à plusieurs reprises, être victimes de massacres. que ce soit à l'instigation du sultan (1894 - 1896) ou des militants nationalistes du Comité Union et Progrès ("Jeunes Turcs") en 1909.
Peu à peu, à la conception d'un État muslman multinational et multireligieux va se substituer l'idée d'un État "turc" qui, donc, par principe, tend à exclure les non-"turcs".
Je mets le mot turc entre parenthèses car la majorité des Turcs ne sont pas des Turcs "ethniques", peuple asiatique proche des Mongols mais des populations "turquisées" depuis des siècles, en particulier par leur conversion à l'islam - les Turcs de Chypre ou de Grèce sont souvent des descendants de Grecs islamisés - ou des musulmans expulsés des territoires perdus ou de Russie comme les Tcherkesses...et que l'on a installés dans l'Empire. C'est l'usage de la langue qui définit principalement qui est Turc mais les Turcs de religion chrétienne (les Karamanli) seront considérés après la guerre comme des Grecs ce qui montre que la religion joue son rôle.
Les non-Turcs sont, à leur tour, gagnés par les idées nationalistes (et appuyés plus ou moins par des puissances extérieures) : les Russes encouragent la nationalisme arménien en Turquie (mais pas chez eux !) ; les Grecs revendiquent d'autres portions du territoire de l'Empire ; un nationalisme arabe dépassant les clivages religieux (la "Nahda") se développe ; les sionistes commencent à s'installer en Palestine...Il y a un risque de dislocation de l'Empire ottoman comme des autres empires multinationaux (Autriche-Hongrie ou Russie)
A suivre...