La faim dans le monde

Courrier envoyé au journal "le Monde"                       


     "En lisant, dans “Le Monde” daté du 22 Juin 2000, un article, signé par Lucas Delattre, titré “La pauvreté dans le monde : leçons d’un échec”, j’ai découvert une énormité : la faim serait responsable de 40 millions de morts par an. Ce nombre est effrayant mais il est manifestement faux.

     En effet, actuellement, le taux de mortalité moyen dans le monde est 0,9%, ou 9 pour mille, par an et il a tendance à baisser car il se réduit dans les pays sous développés. La population mondiale ayant atteint 6 milliards depuis peu, il y a donc environ 54 millions de décès par an pour l’ensemble de la planète; c’est, d’ailleurs, le chiffre avancé par l’O.M.S. pour l’année 1998. Donc, si 40 millions d’êtres humains mouraient de faim chaque année, cela voudrait dire que ce fléau serait la cause de près des trois quarts des morts enregistrés en une année sur toute la terre. Inimaginable !

     Acceptons le fait qu’il y ait, dans le monde, 800 millions d’individus qui souffrent de la faim. Si 40 millions des décès sont liés à cette cause, ils font donc partie de ces 800 millions; ce qui représente un taux de mortalité de 5% ou 50 pour mille; c’est à dire plus de 5 fois supérieur à la mortalité moyenne mondiale. Une telle surmortalité est impensable, sauf dans les zones de famine mais elles sont limitées dans le temps et dans l’espace. En temps normal, il est rarissime qu’un pays ait, aujourd’hui, un taux dépassant 2%.

     L’O.M.S. vient de publier une statistique qui, pour l’année 1998, répartit les décès en grands types de causes. Le groupe le plus important est représenté par les maladies cardio-vasculaires et serait responsable de 30% des décès; il ne s’agit pas d’une maladie liée à la sous-nutrition ! Il en est de même des traumatismes (plus de10%) ou des tumeurs malignes (plus de 13%) et l’on dépasse les 50% et 30 millions de décès. On trouve d’autres familles de maladies, en particulier les maladies infectieuses et parasitaires (plus de 25%) ou les affections périnatales (4%) Ce sont, à l’évidence, des maladies qui touchent plus les pays pauvres à cause de la mauvaise qualité de la situation sanitaire de ces régions mais la faim est rarement la cause première de ces décès et n’est qu’un facteur aggravant, par le fait qu’elle affaiblit les organismes. Et, encore, dans ce groupe, on trouve des affections comme le Sida (4,2% du total mondial des décès) qui ne sont pas liées à la faim.  

     En conclusion, les maladies de la pauvreté ne peuvent être tenues pour responsables que de 25 à 30% au grand maximum du total mondial des décès soit autour de 15 millions d’individus; et, répétons le, ce ne sont que rarement des “morts de faim”.

     Alors, d’où provient ce chiffre de 40 millions ?

     Il est d’autant plus important de percer le mystère qu’il se présente comme une statistique “officielle” et qu’on le retrouve partout y compris dans des livres scolaires réputés sérieux.

     La question a déjà été posée, dans une tribune libre, envoyée à votre journal, le 24 Mars 1982 (il y a plus de 18 ans), par le professeur Joseph Klatzmann. A l’époque, on parlait de 50 millions de morts de faim par an et l’auteur démontrait que cela dépassait le nombre total de décès dans le monde entier. Aujourd’hui, on se trouve en face d’une variante : il s’agit, grosso modo du nombre total des décès enregistrés dans les pays dits du ”Sud” en une année. En effet, dans cette partie du monde, on enregistre de 75 à 80 % des décès annuels de la planète (et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce pourcentage va en diminuant). Faisons le calcul : les trois quarts de 54 millions cela fait 39 millions et les 4/5 cela fait un peu plus de 43 millions. C.Q.F.D.

     A l’évidence, il s’agit d’une absurdité. Comment croire que tous les habitants du Tiers Monde meurent seulement de faim d’autant que l’on affirme par ailleurs que seulement 800 millions en souffrent, soit 1/6 de la population dudit Tiers Monde.

     On ne défend pas une cause juste avec des chiffres aussi manifestement aberrants. J’espère que votre journal publiera un rectificatif sous peine de perdre la réputation de sérieux dont il a tout lieu d’être fier.

     En vous remerciant de bien vouloir faire parvenir ces remarques à l’auteur de l’article, je vous prie d’agréer, Monsieur le Médiateur, l’expression de mes sentiments distingués".