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15 mai 2004 6 15 /05 /mai /2004 17:58

Article publié dans "Rouge et Vert"

 

Ce devait être le modèle d'une "délocalisation à l'envers". C'est devenu un mauvais rêve pour les salariés C'est l'usine "Great Wall" ("grande muraille") de Sablé sur Sarthe, ville de 13000 habitants, dont le Maire fut, de 1983 à 2001, François Fillon. Il est, encore, président de la Communauté de Communes.

 

Au départ, il y a une usine qui fabrique des téléviseurs, sous la marque "Estelle". Cette expérience dure moins d'un an et les 43 salariés restants se retrouvent sur le carreau en novembre 1988. Pas pour longtemps !

 

C'est alors qu'arrive un "homme providentiel", Pierre Besnainou. 

 

En 1989, il rachète "Estelle". Cette société s'appelle désormais "Kaïsui". Il annonce 80 à 100 emplois pour la fin de l'année et 200 pour 1990. Il obtient des subventions de la part des collectivités locales. Remarque d'un journaliste : "une possible bonne affaire pour Sablé ; trop beau pour être vrai ? l'avenir le dira mais Kaïsui a les reins solides et le vent en poupe". L'illusion durera un certain temps.

 

Qui est donc M. Besnainou et quelle est sa recette ? Parti de rien, il révèle ses talents dans l'import-export. En 1986, il a l'idée de génie de lancer sur le marché des petites télévisions, à prix cassés, fabriquées à Hong Kong et qui sont censées correspondre au besoin d'un deuxième poste par foyer. Le succès est immédiat. Avec l'usine de Sablé, il se fait l'apôtre de la "relocalisation " : alors que la production des industries électroniques migre vers l'Asie de l'Est et du Sud Est, il fait le pari du succès du processus inverse, en expliquant que le coût de l'assemblage, en France, ne représente que 10% du prix de revient ; il est vrai que les ouvriers sont payés au SMIC et que les syndicats seront longtemps hors jeu. Kaïsui atteindra jusqu'à 10% du marché français des téléviseurs. En 1992, il y a 120 salariés à Sablé ; ils seront 200 en 1995.

 

Fort de son succès relatif, Pierre Besnainou voit beaucoup plus loin.

 

Il crée, en octobre 1991, une nouvelle entreprise, en partenariat avec un industriel chinois : "Great Wall". Les ambitions sont élevées : la nouvelle usine emploierait 650 personnes à Sablé dès 1995. Alors que l'usine Philips, au Mans, connaît des difficultés, cette annonce fait grand bruit et a tout pour séduire François Fillon, trop heureux de damer le pion à Robert Jarry (n'oublions que nous sommes à la veille des régionales). Le coût du projet (construction et achat du matériel) est estimé à 80 M de Francs.

 

Les aides, directes ou indirectes, des collectivités locales sont considérables pour ce qui est censé devenir le premier pôle français de fabrication de téléviseurs. François Fillon justifie ces financements en expliquant que les recettes fiscales pour la ville seraient de 3M. F. au moins par an quand l'usine aura pris son rythme de croisière. Aujourd'hui, on connaît les chiffres : moins de 2 Millions d'euros de taxe professionnelle (à peine la moitié de ce qui était annoncé)

 

Le plus gros financeur est le département : il doit apporter 12,2 Millions de francs. Puis il y a une aide indirecte de la ville : le terrain est acheté au prix fort et revendu à prix cassé après avoir été viabilisé (soit un coût de 3 M. F.) et Sablé consent un allègement d'annuités de 5 M sur 12 ans à partir de 1995. Enfin, une avance remboursable de la région. Il est prévu qu'une partie des subventions serait liée aux créations d'emplois : sage précaution ! Une certaine presse est lyrique : "à l'approche du futur marché européen, un nouveau géant s'apprête aujourd'hui à voir le jour !" Le but clairement affiché est d'inonder le marché du Vieux Continent avec des appareils bas de gamme.

 

L'euphorie sera de courte durée.

 

Car les nuages s'accumulent vite sur le "roitelet du téléviseur" (selon le surnom donné par un excellent article de "Capital" en 1995) En effet, les grands groupes sortent les griffes quand Besnainou quitte son créneau pour les concurrencer sur leurs spécialités. Il faudrait avoir les reins solides et ce n'est pas le cas. En 1994, Kaïsui doit payer une amende colossale aux douanes et des divergences stratégiques apparaissent avec les partenaires chinois entraînant un divorce à l'amiable : le Français cède sa part de 50% du capital de "Great Wall France" à ses partenaires chinois qui sont, désormais, seuls maîtres à bord.

 

Kaïsui ne survivra qu'un an à peine. En 1995, c'est le dépôt de bilan et la reprise providentielle par SAGEM grâce aux excellentes relations entre François Fillon et Bernard Faurre, le PDG de cette entreprise spécialisée dans l'armement et qui n'a jamais construit le moindre téléviseur. Cependant, 80 salariés perdent leur emploi. Du téléviseur, on passera au téléphone mobile. Ca marche tellement bien, pendant un certain temps, que SAGEM demande à la commune, en 2000, une aide pour lui permettre de doubler la superficie de l'usine où vont travailler des centaines d'ouvriers, souvent au statut précaire. La "bulle" du mobile éclate rapidement et, de plus, la mort du PDG entraîne le désengagement de SAGEM, dont l'usine sabolienne est rachetée par un équipementier automobile en 2001.

 

Revenons à "Great Wall", désormais sous contrôle chinois exclusif.

 

Le directeur de l'entreprise sabolienne est Français mais son pouvoir de décision semble très limité. Il faut faire appel au PDG chinois ou contacter les actionnaires avant toute décision importante. Il n'est donc pas facile pour les salariés ou les élus de trouver un interlocuteur valable. Quant à la structure et au financement du groupe ("Great Wall" est présent également en Chine proprement dite) ils sont assez opaques.

 

A la fin de l'année 1997, une grave crise éclate. En relation avec un responsable syndical, j'interviens au Conseil Municipal de Sablé, peu avant Noël. A l'époque, l'entreprise emploie, encore, environ 300 personnes. Les salariés subissent un grave chômage technique ce qui réduit des salaires déjà bien bas. Il apparaît que l'entreprise subit de très lourde pertes du fait de sa politique des prix cassés. La direction, quant à elle, invoque la concurrence déloyale des entreprises turques et le manque de matières premières (en particulier : les tubes cathodiques). Dès cette date, la question de l'avenir de l'entreprise et d'une solution alternative est posée. Puis, après une vague de licenciements massifs de CDD et d'intérimaires, l'entreprise semble redémarrer.

 

Elle ne fait plus parler d'elle sinon à l'occasion de mouvements sociaux comme une grève pour les salaires, menée par la CGT, en 2000. Depuis près d'un an et demi, c'est pire : le chômage technique devient monnaie courante sous prétexte de problèmes divers d'approvisionnement : manque de tubes cathodiques par exemple et, toujours la concurrence de la Turquie. Dès la fin 2002, les syndicats réagissent. Un plan de licenciement a lieu au printemps 2003.

 

A la fin de cette année là, il n'y a plus que 128 salariés de plus en plus inquiets.

 

J'interviens à nouveau au Conseil Municipal de décembre 2003 pour relayer l'inquiétude des salariés et demander des explications à la majorité municipale. Pour l'adjoint chargé des affaires économiques, il n'y a pas lieu de s'inquiéter à court terme. Erreur ! Le lendemain, on parle de dépôt de bilan.

 

Les salariés vont alors se mobiliser malgré les congés de fin d'année. Ils occupent l'usine et multiplient les manifestations à Sablé et au Mans. Ils rencontrent le Maire et François Fillon. Ce qu'ils veulent, c'est une solution stable et pas de licenciements. Le discours des élus de droite est différent : promesse de la mise en place d'une cellule de reclassement et recherche d'un repreneur. Ce qui pose deux questions : quel repreneur et celui-ci embauchera-t-il tous les salariés ? On attend la réponse.

 

Après un mois et demi d'incertitude, pendant lequel les salariés ont été très actifs, le couperet est tombé le 3 février. Au moment où ces lignes sont écrites, le 17 février, il y a eu une nouvelle manifestation et une rencontre avec le Maire mais rien de nouveau en ce qui concerne une perspective de reprise du site et des salariés.

 

Cette situation amène à se poser des questions et à faire quelques remarques.

 

     - Tout d'abord, et avant tout, en ce qui concerne la stratégie de l'entreprise. Pourquoi la société "Great Wall" s'est-elle installée à Sablé car, selon des sources concordantes, l'usine a quasiment toujours travaillé à perte ; tout cela pendant 10 ans ! Comment cela a-t'il été possible financièrement ? Quel était le but poursuivi ?

 

     - Ensuite : fallait-il aider financièrement l'installation de l'entreprise ? Pour Sablé, le bilan n'est pas brillant mais il semble que la commune a perçu plus de recettes fiscales qu'elle n'a dépensé d'argent pour attirer l'industriel. Par contre, le département a mis beaucoup d'argent sur le tapis et il n'est pas sûr qu'il récupère sa mise.

 

François Fillon avait beaucoup promis en 1991. Il doit donc assumer en trouvant rapidement une solution industrielle et admettre qu'il s'est trompé il y a 13 ans ; il y va de sa crédibilité.

 

 

Gérard FRETELLIÈRE

Conseiller Municipal de Sablé

 

 

 

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  • : Le blog de Gérard FRETELLIERE
  • : Sabolien depuis plus de 40 ans. Conseiller municipal d'opposition de 1989 à 2008 puis de nouveau de 2016 à 2020. Ancien responsable syndical. Militant associatif (écologie, défense des demandeurs d'emploi, aide à l'intégration des étrangers). Je circule en ville à vélo ou à pied. Géographe de profession, je suis passionné de voyages et de jardinage. J'ai créé ce blog en 2011.
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